De fil en aiguille, Françoise Bonzon (1931-2012)
Vie au Québec
Immigrer

Par amour pour son mari, Françoise Bonzon immigre au Québec, avec sa famille, à l’automne de 1968. Si pour ses enfants c’est le commencement d’une nouvelle aventure, pour Françoise, ce sont des adieux déchirants à ses amis et à sa terre natale qu’elle chérit tant. Malgré l’éloignement et le deuil de son mariage, mariage qui ne va pas survivre au changement, Françoise apprivoise sa terre d’accueil, le Québec. Découvrir une nouvelle culture, de nouveaux paysages, tisser des liens et vivre au rythme de cette nouvelle culture sont non seulement les débuts d’un nouveau chapitre dans la vie de Françoise, mais surtout les prémices d’une nouvelle histoire, celle de sa renaissance.

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Éducation

Enfermé dans le jansénisme,
écrasé par de faux prophètes,
muré dans des idées toutes faites:
L'homme est prisonnier.
Or, il suffit d'ouvrir la fenêtre,
de regarder l'aube frémir
pour savoir que nul calcul
ne peut empêcher la Vie.
Il suffit de pousser la porte,
d'écouter la rivière chantée
pour reconnaître la Vérité :
La simplicité des mots, sincérité d'une âme.
Il suffit d'épousseter son coeur
des racontars, des on-dit, des médisances.
Ne plus écouter ceux qui ne savent pas entendre.
Ne plus croire ceux qui soupçonnent.
Ne pas conclure avec ceux qui ignorent et parlent
en hochant la tête !
Écouter, respirer, croire et aimer
par soi-même, sans contrainte :
La Vie est un éblouissement !

P2019-21-113-WEB Françoise, maîtresse de maison, Dollard-des-Ormeaux, vers 1970.

Casse-tête

J’ai acheté un rôti de 1200 grammes,
il faut qu’il fasse deux repas !
Deux repas ! Deux repas ! Cela sonne comme un glas !
Tous les jours c’est le même programme,
acheter à manger pour les cinq du foyer,
qui ont des yeux tout ronds et la bouche ouverte !
Et moi, affolée chaque fois, je les regarde bête !
Ne sachant plus à quel saint me vouer.
Tout doit faire le double de la moitié.
Ce qui fait un doit faire deux ou trois.
Il y a de quoi en perdre la foi
en mon organisation et dans mes marchés.
En plus, les pantalons déchirés,
les chaussettes percées, les souliers troués !
Mais aussi, les yeux émerveillés
quand arrive la crème au chocolat !
Alors à chaque jour son petit miracle.
Jour après jour, mois après mois,
j’y arrive comme une vieille mule,
têtue, obstinée, volontaire, habile
à les rendre souriants, heureux.
Je suis récompensée par les baisers chaleureux
de ce foyer, le mien, unique,
bien que le rôti soit microscopique.

P2019-21-106-WEB Caroline Cotnareanu devant la maison familiale à Dollard-des-Ormeaux, en 1969.

Les enfants rentrent

Ils rentrent du dehors transis
après avoir couru et chahuté.
Ils aiment se réchauffer, assis
autour de la table de la cuisine
aux fenêtres, des rideaux à pompons.
Devant eux, une pile de tartines.
À bâtons rompus nous parlons
des événements de l’école.

J’aime ce moment où tout s’arrête.
Apprécier notre joie d’être ensemble.
Dehors le vent souffle, la neige tombe forte,
elle recouvre tout et donne le silence.
Bien protégés par nos murs de bois,
tous rideaux tirés,
nous rions du froid.

La lampe est allumée,
les têtes se penchent sur les cahiers.
J’ai repris ma tapisserie,
nous jouissons de la paix du soir.

« Notre maison », quels mots merveilleux,
quelle sécurité, quelle chaleur,
quelles forces contenues dans « Je rentre à la maison ».

Je sais que les enfants devront partir.
Sur leur route, il y aura toujours
la lumière allumée sur le perron
pour qu’ils puissent, nuit et jour,
venir prendre des forces « à la maison ».

P2019-21-250-HD La maison de l’érablière tant aimée de Françoise Bonzon, à Cap-Saint-Ignace, vers 2005.

J’ai envie d’une maison longue et basse

J’ai envie d’une maison longue et basse
avec des murs recouverts de rosiers
où je pourrais, quand je serai lasse
venir me reposer.
J’ouvrirais toute grande la porte
aux amis qui viendraient frapper.
Les volets de couleur verte
laisseraient les rayons de lune filer
vers les cuivres attirants de la cuisine.
Je verrais dans les prés
plein d’enfants avec de belles mines
courir, sauter, danser,
sans se soucier de salir.
Et je les entendrais rire, rire, rire.
Je verrais aussi de grands arbres
protecteurs nous enfouir,
sous leurs feuillages sombres.
Cette maison serait au flanc d’une colline,
pas trop loin d’une forêt épaisse
qui me rappellerait les Yvelines.
J’irais me promener avec mon chien sans laisse
pour rentrer à la maison, voir briller les vitres
que refléterait le feu de la cheminée.
Les enfants attendraient à la fenêtre
pour goûter de café au lait et de tartines beurrées.
Les oiseaux chanteraient d’allégresse.
La nuit passerait molle et douce
autour des fleurs de couleur vermeille.
Un mur bas pour s’allonger avec paresse
sur son tapis de mousse.
On se chaufferait aux rayons du soleil.
Ce serait un matin enchanteur
où tu prendrais ma main et mon bonheur.