De fil en aiguille, Françoise Bonzon (1931-2012)
Vie en France
L'âge adulte

Par son contact avec la forêt et la nature, Françoise développe en grandissant un sens de l’observation dans les petits détails et un talent pour marier les couleurs et les mots. L’art, sous toutes ses formes, est aussi un domaine qui la passionne. Des études en histoire de l’art à l’École du Louvre lui ouvrent des horizons et lui font découvrir les grands maîtres qui l’inspireront dans son processus créatif. Bien qu’elle ait à cœur son rôle d’épouse et de mère, l’expression de sa créativité occupe une place importante dans son quotidien, que ce soit par la tapisserie ou la poésie. C’est à cette époque, d’ailleurs, que bon nombre de ses poèmes voient le jour.

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Jeune adulte et épouse
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Reine du foyer

Dès l’adolescence, Françoise Bonzon collige dans un cahier diverses informations liées aux travaux ménagers. D’une part, son sexe biologique la prédispose à apprendre les rudiments des tâches domestiques et d’autre part, elle grandit dans une société qui encadre de plus en plus les arts ménagers au sein d’une « science ». En effet, la France, tout comme d’autres sociétés occidentalisées, encadre les connaissances usuelles domestiques dans une pédagogie destinée aux femmes. Des générations de ménagères fréquentent, au XXe siècle, des établissements d’arts ménagers et d’autres, qui suivent des cursus scolaires différents, reçoivent tout de même des cours de bienséances et d’économie familiale.

Après la Deuxième Guerre mondiale, le contexte social encourage particulièrement le modèle de l'épouse au foyer. De manière générale, on priorise le retour des hommes sur le marché du travail et on incite les femmes mariées à demeurer dans la sphère du privé. La scientifisation des activités domestiques contribue à la valorisation de la figure de la ménagère, qui détiendrait alors de multiples savoirs utiles au bien-être de la maisonnée et ce, même s’il n’y a pas de rémunération salariale. Pour Mme Bonzon, comme pour d’autres femmes à son époque, acquérir des connaissances et des aptitudes en tant que ménagère était aussi une façon de bien se préparer à la vie maritale.

P2019-21-49-WEB Françoise Bonzon et Gérard Cotnareanu, vers 1952.

Folie ?

Est-ce folie, Maman
que de danser avec le vent ?

Est-ce folie, Maman
que de croquer la vie à pleines dents ?

Est-ce folie, Maman
que de croire à l’amour ?

Est-ce folie, Maman
que de chanter tout le jour ?

Est-ce folie, Maman
que de croire avec lui au bonheur ?

Est-ce folie, Maman
que de l’aimer à plein cœur ?

Mais non, ma chérie,
c’est toute la vie,
un coin de paradis.
Va, je te bénis.

Femme au foyer

Tâches familières
qui nous attachent au foyer.
Tâches journalières
qu’il nous faut aimer.

Tâches douces et faciles
que nous aimons toujours.
Tâches rudes et utiles
où nous renâclons chaque jour.

Vous faites de notre vie
un chef d’œuvre où l’harmonie
se trouve dans nos cœurs.

Mère
À nos enfants

Vous qui avez été créés dans la flamme de l'amour. Vous qui êtes mes soleils, vous pour qui j'ai conjugué le verbe aimer chaque jour. Vous qui m'avez sonné tant de veilles, vous êtes mes rêves, mes passions, mes réussites, mes plénitudes, mes joies et mes aspirations. Vous êtes ma force, mon horizon, ma sagesse, mes folies, mes heures, mon temps, mes défaites, mes victoires, mes hivers et mes printemps. Je voudrais être pour vous une maman-lumière. Que, dans votre souvenir, je sois toujours fière. Et mon espérence aura été que vous m'ayez trouvée telle que vous me souhaitiez.

Françoise Bonzon

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Pascal, Caroline et Pierre-Antoine Cotnareanu, vers 1964

Détente

Ils sont tous les trois couchés
par terre sur le tapis,
occupés à lire, à dessiner.
La tête dans ses mains, il lit,
l’aîné, loin de tous, parti
sur ses nuages bien-aimés.
Avec son livre pour avion,
la terre peut s’écrouler,
il n’est plus ici.
Quant au second garçon,
à plat ventre, il tient un crayon,
il reconstruit le monde
et découvre que la terre est ronde !
Il dessine des voitures filantes
sur des autoroutes.
Quant à la fille, toute petite,
roulée en boule, elle chantonne une ronde.
Elle s’est endormie avec pour coussin
un vieux chiffon et le ventre du chien.
Elle soupire doucement
en sécurité entre ses frères
qui sont un rempart au cauchemar.
Pascal délaissant ses œuvres d’art
vient l’embrasser tendrement.
Le grand s’étire, les regarde,
sourit de contentements,
secoue ses jambes raides
et s’allonge aussi, béatement.

Terre espagnole

Ardente terre espagnole
qui donne un coeur chaud et une tête folle.
J'aime tes murs roses et dorés,
tes oliviers griset argentés,
les verts profond de tes orangers
et la chaleur de ton hospitalité.
Tes montagnes sèches et arides,
tes églises accrochées et vides
tels des écrins attendent
les coeurs vidés de leurs rides.
La révolution, la misère ont laissé des cicatrices,
mais je ne suis pas inspectrice,
mon coeur admire tes couleurs,
ta mer, ton sable et tes fleurs.
Sur le chemin aux mille odeurs
violentes et acres des poissons séchés,
doucereuses, endormantes de tes lauriers,
excitantes de ta mer bleue et verte.
Sur la rive, je m'étends.
Inerte, je me laisse pénétrer de ta vie et de ta chaleur.
Tes embruns m'arrosent d'ardeur.
Ardente terre espagnole,
tu me donnes un coeur chaud et une tête folle.

J'écris

Sans bien connaître les mots, sans bien connaître mon temps, ni les amours, ni la politique. Sans bien connaître la vie, ignorer des choses de l'esprit, malgré tout... j'écris. Dieu m'a posée là avec une plume, simple poussière en son Pays, il doit bien savoir pourquoi. Alors trois petits mots pour dire que je crois à la vie.

12e

Dans la cour ombragée,
les petites sont en récréation.
Elles jouent à chat perché
ou tournent en rond.
Elles chantonnent des litanies
pour savoir qui sera chat ou loup.
Elles tournent des cordes en comptant
sans fin l’agilité de leurs amies.
Elles vont et viennent avec bruit
bras dessus, bras dessous,
s’agitant, discutant
ou partageant un gâteau, un fruit.
Elles vont et viennent avec zèle.
C’est la récréation tant attendue
faite pour se détendre,
après avoir été assises et si sages
à écouter mademoiselle,
bouche bée, oreille tendue,
pour bien comprendre
le secret des images.

Scolarité

Elles sont une trentaine,
studieuses ou lointaines,
devant la feuille blanche.
L'inspiration les lâche,
l'oeil perdu sur une image,
elles sont parties...
D'autres toutes réfléchies,
absorbées, crayonnent.
Le petit voyage terminé sur l'image,
elles reviennent à leur page,
font des paraboles,
écrivent des symboles.
Les voilà toutes penchées
à noircir du papier.
Une, deux, trois heures passent.
La cloche les chasse.
Un instant étourdies, elles se précipitent,
finissent d'un trait et s'envolent vite...