De fil en aiguille, Françoise Bonzon (1931-2012)
Vie en France
L'enfance

Née en 1931, à Neuilly-sur-Seine, d’une union illégitime entre un bourgeois français et une gouvernante d’origine américaine, la petite Françoise est placée en adoption et passe les premières années de sa vie en familles d’accueil. En 1935, elle est adoptée par Charles-Eugène Bonzon et Suzanne Keller. Son enfance est marquée, d’une part, par la perte d’un père bienveillant durant la Seconde Guerre mondiale et, d’autre part, par la rigidité du milieu bourgeois dans lequel elle, petite fille curieuse à l’esprit libre, grandit. Heureusement, une maison de campagne que possède sa famille, dans la forêt de Rambouillet, près de Paris, est son coin de paradis et la nature, sa meilleure amie. Une nature qui devient un personnage important dans l’histoire de sa vie et qui inspire bon nombre de ses poèmes et de ses broderies.

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Famille

Vide profond

Pourquoi le souvenir de cette mort
me laisse-t-il cette souffrance ?
Ce coeur voilé qui bat si fort
et cherche une délivrance.
Mort ! Tes filets quoique invisibles
enserrent finement.
Ils mettent un voile léger, impalpable
sur nos joies, nos plaisirs vivants.
Ces trois frissons qui ont chassé l'amour
et laissé un vide profond !
Nous n'étions pourtant
pas si intimes, si liées,
mais entre fille et maman,
il n'y a jamais rien de brisé.
Que mon chagrin dans une autre vie
lui soit douceur, paix et sourires !
Que mon incompréhension lui lie,
dans le ciel, des gerbes d'étoiles et de rires.
Que la paix vienne en nous
et nous apprenne à être « pardon » !
Ne soyons plus jamais assez fous
pour ne savoir être qu'un « non ».
Mort ! Passage difficile,
sois aussi un enseignement
pour ceux qui restent et défilent
tout le jour sous ton sourire sans dents !

P2019-21-25-WEB Françoise et son père adoptif, Charles-Eugène Bonzon, vers 1938.

Sécurité paternelle

Ton cœur a du chagrin,
et aussi le mien.
Ta peine est immense,
les mots perdent leur sens.

Prends ma main,
viens avec moi jusqu'à demain.
Tu retrouveras ton coeur chaud,
le soleil brillera là-haut.

Tu garderas, dans le secret de ton cœur,
les merveilleux bonheurs
donnés par l'enfance,
la sécurité d'une présence
vigilante et paternelle.

Elle aura su te donner le goût de l'immortel,
la force de toujours mieux aimer,
le courage de toujours garder intactes
les vertus que ton père t'a données.

Il ne faut plus pleurer,
garde ce sourire merveilleux
qu'il aimait voir au fond de tes yeux.

À la maison, dans la forêt

Ma forêt

Que j’aimerais retourner dans ma forêt
et m’engloutir, m’anéantir dans ses verts,
me réchauffer au cœur des bouleaux argentés,
me reconstruire sous ses chênes aimés.

Je me rappelle ce vieil ami
à quelques pas de la maison.
Toutes mes forces revenaient
en m’appuyant à son tronc.
Il avait plus de 500 ans,
connaissait Henri IV et Napoléon.
Parfois toute la jeunesse ensemble nous dansions
autour de lui, quelle fête ! Quelle joie !

Oh ma forêt ! Jamais je ne t’oublierai.
Toi et moi, nous nous comprenions,
nous lisions nos cœurs,
n’avions point de secret, que de bonheurs.

Secret des arbres

Le chemin s’enfonce
dans la forêt.
Unique, il trace un trait,
fil éphémère
dans un labyrinthe
où tu erres
avec peut-être une plainte.

Les arbres sont tes amis,
le sentier te confie
à leurs âmes toutes droites.
Ne va pas trop vite,
il faut savoir fermer les yeux
pour réellement voir.
Tout est confiance
si ton cœur a la tendresse.
Tu as pour toi la vie,
si tu sais prier et dire « merci ».

P2019-21-72-WEB Un sanglier dans la forêt de Rambouillet

L’automne et la vie

Si le printemps donne à la forêt sa gloire,
l’automne lui apporte son apogée.
Le mélange des couleurs est de toute beauté.
Des odeurs s’en échappent comme d’un encensoir.
Toi, tu te grises,
les pieds envolés te font bondir,
légère comme une brise.
Comme elle, tu vas partir
pour connaître les secrets des halliers.
Là-bas, une biche tranquille.
Ici, un sanglier dans sa bauge mouillée.
Écoute. Tu reconnaîtras dans ces trilles
le rouge-gorge et le pinson,
la fauvette ou la caille,
l’adieu ou les retrouvailles.
Toute la forêt vibre de mille vies
qui s’agitent passionnément
avant que le long hiver ou la longue nuit
ne les laissent pour un grand moment.
Recroquevillés ou endormis,
inquiets de la chasse et de l’homme,
l’oreille aux aguets, enfouis
dans un terrier ou sous un vieil orme,
ils ont connu cette gloire.
Ils se sont enivrés au même encens.
Ils ont recueilli tout l’espoir
pour qu’au prochain printemps,
tout recommence et s’agite
comme une symphonie jamais finie
qui chante et nous envoûte
dont le leitmotiv est la vie.

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Les travaux d'aiguilles

Françoise Bonzon est rapidement initiée aux travaux d’aiguilles comme de nombreuses petites filles avant elle. En effet, les premiers livres connus de modèles de travaux d’aiguilles sont publiés vers les années 1530 et sont adressés aux femmes. Si pour les plus modestes il s’agit d’un travail nécessaire, chez les demoiselles de milieux aisés il s’agit d’une initiation aux tâches de gestion du foyer. Dans tous les cas, cependant, il s’agit d’une « leçon de vertu et [d’]un exercice de pénitence et d’humilité » (1) .

En France, l’apprentissage des travaux d’aiguilles reste primordial jusque dans les années 1960. Cela fait partie des préparatifs jugés nécessaires pour le mariage. La pratique de ces travaux n’a pas pour unique but de parfaire ses techniques, elle a aussi pour objectif d’inculquer des comportements et des attitudes. Alors que les petites filles effectuent des travaux à l’aiguille, elles sont encouragées à rester calmes. Pendant ce temps, les petits garçons ont le loisir de s’occuper avec des activités plus physiques. Enfin, notons que les travaux d’aiguilles se situent dans un univers exclusivement féminin. Les jeunes filles peuvent donc, également, s’initier aux convenances liées aux vêtements et à la parure .

Jardin secret

Jardin secret où pousse l’herbe folle,
des souvenirs d’enfant heureuse,
des angoisses d’enfant peureuse.
Joies saisies au vol !
Les élans fous de tendresse
donnés avec maladresse.
Des joies sauvages, éclatantes.
Des peurs affolantes d’un passé dangereux.
Consolée par un père généreux,
bercée dans ses bras protecteurs.
Plus d’angoisses, plus de peurs !
Ces bonheurs d’entente à deux !
Ces farces de collégiens heureux !
Les gronderies amères,
les injustices sans raison.
Souvenirs merveilleux d’une maison
à l’odeur accueillante,
aux fenêtres souriantes.
Une forêt pour horizon, des cerfs, des biches, des faons
galopent en paix dans les taillis,
décors de paradis.
Lapins blottis à l’affût d’un chasseur déçu.
Joies de nous voir libres, danser, sauter, courir.
Jardin secret où l’on garde les douleurs hagardes,
les premiers chagrins qui ne vous laissent rien.
Le vide, le néant, la peur de l’animal qui meurt.
La peur horrible de l’inconnu
sans comprendre d’où vient le coup.
L’angoisse devant le trou
du néant où l’on vous jette
sans remord, sans regret.
Jardin secret où l’amour vous cherche,
vous prend la main, vous dit :
« Le soleil est là, la vie marche,
ne sois pas aigrie, ne crains plus,
ton père restera au jardin. »

P2019-21-87-WEB Françoise Bonzon et une de ses poupées, à la Bonzonnette, vers 1937.

Poupées

Je suis montée au grenier
rendre visite aux vieilles poupées.
Elles avaient le teint tout fané
et les cheveux tout desséchés.
Elles me regardaient avec reproche,
me montraient les taches de mouches
sur leurs beaux habits du dimanche
et les dentelles qui n’étaient plus fraîches.
Elles se souvenaient des jours d’été,
où, pomponnées, j’allais les promener
tout le long des allées
du jardin fleuri et embaumé.
Elles pensaient pouvoir toujours
être dorlotées avec amour.
Elles croyaient que je les garderais toujours.
Et elles voient défiler les jours
sans que je vienne leur parler.
Elles ont été chagrinées,
elles avaient l’habitude de partager
mes tracas, mes joies d’enfant esseulée.
J’ai eu honte de leurs regrets amers
et je rejette leurs confessions à la mer !
L’enfance est morte ! Et ma joie par terre.
Je les envie d’être restées
si présentes d’un charmant passé,
de n’avoir aucun souci à se débarrasser,
d’être dans leur jeunesse éternellement figées.
Je ne pense plus pouvoir attendre de leur tendresse,
j’ai fini l’âge des merveilleuses hardiesses.
J’ai vieilli, c’est ce qui me blesse.
Je ne sais plus imaginer un monde sans faiblesse.
Je suis enfermée chez les grandes personnes
et si, quelquefois, les poupées me sonnent,
je ne sais plus les voir, je raisonne :
Je suis, hélas, devenue une grande personne !

Seconde Guerre mondiale
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La France et la Deuxième Guerre mondiale
Comme tous les Français et les Françaises de sa génération, la Deuxième Guerre mondiale est un épisode qui a considérablement marqué Françoise Bonzon. En France, la guerre débute le 3 septembre 1939 au moment où le pays rejoint les Alliées en déclarant la guerre à l’Allemagne nazie. Quelques mois plus tard, en mai 1940, la Wehrmacht (armée allemande), s’empare du nord de la France et de la côte ouest. Françoise Bonzon se retrouve au cœur de ce territoire occupé. Ce qu’il reste alors du pays est sous le « régime de Vichy », un gouvernement français soumis aux autorités allemandes.
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La libération

Dans ses archives personnelles, Mme Bonzon apparaît particulièrement marquée par la période communément appelée la « Libération », qu’elle associe à l’espoir, au renouveau. Spécifions que la France fait partie d’une entreprise de grande envergure, menée par les Alliés, qui a pour ambition de libérer les nombreux pays occupés par les forces de l’Axe. En France, l’opération échelonnée sur plusieurs semaines débute avec le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, qui annonce l’arrivée des troupes des Alliées en territoire allemand. La fin, quant à elle, est associée à la bataille de Paris qui se tient du 19 au 25 août 1944. À cet épisode victorieux participe l’Armée française de la Libération (2e division blindée). C’est le logo de leur insigne qu’on retrouve dans les photographies de Mme Bonzon.