Le père
La double parentalité - privée et publique - de Wheeler Dupont
À partir de 1937, Wheeler Dupont est investi d’un nouveau rôle : celui de père de famille. À cette époque, la parentalité masculine se vit généralement au sein d’un cadre traditionnel et patriarcal qui encourage le bon père de famille à être le seul pourvoyeur du couple et à assurer l’ultime autorité au sein de la cellule familiale. Bien que M. Dupont ait en parti intégré ce modèle, il présente également, par comparaison avec ses contemporains, des caractéristiques plus modernes et plus libérales.

Le père prévoyant
Le visage du père prévoyant : une parentalité publique
À la lumière de tout le travail que Wheeler Dupont a effectué, entre autres pour la reconnaissance sociale des plus démunis, pour la promotion des assurances collectives, pour la Régie des rentes du Québec ou pour les Clubs de l’Âge d’Or, nous pourrions le qualifier symboliquement de père prévoyant auprès de sa communauté.
« Nous l’appelons le père prévoyant, celui qui a le souci de préparer l’avenir de ses enfants, et ce, même au-delà de sa propre mort. Rappelons que la prévoyance se situe dans cette gamme de valeurs individualistes associées à l’ordre libéral moderne, s’opposant d’un côté à l’imprévoyance dont les pères de la classe ouvrière sont si souvent accusés et de l’autre à ces valeurs plus anciennes, collectivistes et populaires que sont l’entraide, le mutualisme et la providence »
(Peter Gossage, 2016).
La jeunesse : développer les qualités d'un père prévoyant
Wheeler Dupont grandit dans la paroisse Saint-Grégoire de Montmorency, près de la chute Montmorency à Québec. Ses parents, deux généreuses personnes portées vers l’aide sociale, permettent au jeune Wheeler de prendre conscience de la condition de sa classe, qui est beaucoup plus favorisée que d’autres.
Son père Émile Dupont, un médecin, aide quotidiennement les malades. Selon Céline Dupont, Wheeler disait de son père qu’il était un homme disponible pour ses patientes et ses patients. Il les rencontrait à toute heure du jour ou de la nuit ! Eva Laberge, la mère de Wheeler, s’est quant à elle consacrée à des œuvres de charité. C’est par l’exemple, surtout, que le jeune homme apprend et intègre en lui des valeurs de bienveillance et de générosité. Ses premiers pas dans le monde du travail sont d’ailleurs marqués par ce désir d’aider autrui.
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Comme la loi patriarcale oblige à donner les patronymes aux enfants, la transmission intergénérationnelle du prénom Wheeler témoigne du sentiment d’appartenance envers la famille maternelle. Selon le sociologue Fernand Harvey (2005), c'était alors une pratique courante chez les familles bourgeoises.

La famille Dupont - De g. à d. : Wheeler (1906-1982), Eva Laberge (1872-1942), Marie-Paule (1914-2008), Mathilde (1905-1958), Mariette (1911-2001), Émile (1877-1927) et Adèle (1909-2006).

Maison de la famille Dupont à Saint-Grégoire de Montmorency
13 juin 1981,
« Maman! Épouse dont papa était si fier; épouse toujours souriante, et si charitable à l’égard des pauvres de St-Grégoire de Montmorency, où nous résidions […] ».
Wheeler Dupont, extrait d'un journal de bord tenu en 1981.
Les assurances comme sécurité sociale : outils d’un père prévoyant
Wheeler Dupont souhaite à tout le monde de connaître la sécurité financière. Lui-même a vécu deux périodes marquantes d’insécurité : durant ses études de droit ainsi que durant la crise des années 1930. Il considère que les assurances permettent à chaque individu de prendre conscience de « ses propres responsabilités, ses obligations. C’est aussi lui indiquer les moyens de parer aux divers risques qui menacent sa vie, celle de sa famille, ses biens ». Par ailleurs, cette prise de conscience individuelle a aussi des répercussions sur le plan national. Aux yeux de Wheeler Dupont, les assurances sont un des outils permettant l’autodétermination financière de la nation canadienne-française.
M. Onésime Gagnon, trésorier de la province, vient d’annoncer la promotion de Me Wheeler Dupont au poste de surintendant des assurances de la province de Québec. […] À l’avènement du gouvernement Godbout [cinq ans auparavant], on lui offrit un poste important au département des assurances et la compétence avec laquelle il a exercé ces nouvelles fonctions lui vaut la promotion que le cabinet provincial vient de lui accorder.
D.N.C., « Nomination annoncée par M. O. Gagnon », Le Devoir, 5 décembre 1944, p. 3
Notre vie économique, à nous canadiens français, est cruelle, implacable. Comme peuple, nous avons glissé petit à petit jusqu’au plus abject prolétariat. Les puissances d’argent sont rivées à notre gorge comme une gangue monstrueuse et funeste. Semblables aux bateliers de la Volga, nos masses, autrefois laborieuses, sont attelées lourdement à trainer sur les barges du Saint-Laurent les charges honteuses, les profits scandaleux, les intérêts égoïstes de tous les veaux d’or d’un capitalisme condamnable et condamné. À des situations économiques âpres et menaçantes de convulsions ou de bouleversements généraux, il faut des chefs intrépides, de grande vision, farouchement dévoués aux intérêts majeurs et collectifs du peuple tout entier. Il faut également un peuple averti, courageux, connaisseur de ses obligations autant que de ses droits. Il faut de la solidarité tenace de toute la communauté. […] Sans le caractère et sans la foi nationale, notre vie sera une faillite.
Wheeler Dupont cité dans : « La fête des Canadiens français célébrée avec éclat », Le Soleil, 26 juin 1939, p. 8
« Les Placements Collectifs » sont le premier investment trust canadien-français, c’est-à-dire la première entreprise canadienne-française qui offre aux nôtres la possibilité de placer leur argent dans l’industrie selon cette formule du fonds mutuel […] « Les Placements Collectifs » seront toujours mieux disposés que les investment trusts sous contrôle américain à acheter les bonnes valeurs canadiennes-françaises, et par là à contribuer pour sa part à la création d’un marché financier mieux disposé à absorber les émissions de nos bonnes entreprises canadiennes-françaises.
Caton (pseudonyme de Wheeler Dupont), « Les Placements collectifs - Un lecteur nous écrit », L’Émérillon, Avril 1957, p.147-149.
Régime des rentes du Québec : le père prévoyant assure l’avenir de sa communauté
« Le Régime de rentes du Québec n'est pas né, à l'ancienne, dans une feuille de chou, ni apporté par un sauvage de service, par une nuit sans lune, et déposé à la porte du Législateur québecois. »
Wheeler Dupont, Bruidefon, 1974
Wheeler Dupont, alors qu’il était conseiller technique au ministère du Travail du Québec, se voit confier dès 1961 la mission d’étudier les régimes de retraite privés du Québec et de l’Ontario. Suivant les recommandations des syndicats, du milieu industriel et des compagnies d’assurance, il préconise auprès de Jean Lesage la création d'un comité qui étudierait la manière la plus adéquate de concevoir ce régime de rentes québécois.
Nommé président du comité d’étude sur le Régime de rentes du Québec (RRQ), Wheeler Dupont bénéficie d’un privilège précieux, celui d’avoir pratiquement carte blanche. Sa seule contrainte réside dans le choix de ses collaborateurs : ceux-ci doivent déjà être issus de la fonction publique. Il choisit des personnes qui sont, à son avis, mues par le désir de « travailler pour le peuple », parmi lesquelles Gérald Alain, Édouard Laurent et André Marier.
En vigueur à compter du 1er janvier 1966, le RRQ constitue l’une des plus grandes réalisations de Wheeler Dupont. Enfin, le père protecteur et prévoyant dotait les Québécois et les Québécoises d’une assurance universelle en sécurité sociale. En effet, Dupont avait comme objectif de s’assurer que des gens aux marges de la société puissent bénéficier d’une protection minimale, notamment pour éviter des situations sociales similaires à ce qu’il avait vu durant les années 1930.
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Le Comité Dupont se nomme officiellement Comité d’étude sur les caisses de retraite obligatoires et transférables.
Émilien Landry, Charles Miville-Deschênes et Thaddeus Poznanski font également partie du groupe initial.

Jean Lesage prononçant un discours à L’Islet, alors qu’il était à la direction du Parti Libéral du Québec, 31 août 1958.
Épreuve n. & b. papier 8,8 x 12,8 cm
27 novembre 1973,
Mon cher Jean,
La Régie des rentes du Québec publie un mensuel, sous le nom de BRUIDEFON, à l'unique intention de son personnel, afin de lui faire connaître non seulement les faits de la vie courante de la Régie, mais aussi les circonstances et les travaux qui ont donné naissance au Régime de rentes du Québec. Dans cette intention, il serait très souhaitable que le texte ci-joint soit publié par tranches dans ce bulletin. Ce document, en date du 8 juillet 1963, a été le grand point de départ du Régime de rentes du Québec. Je voudrais donc utiliser en tout ou en partie ce document et le publier par tranches dans ce bulletin. En 1963, ce document était confidentiel, mais aujourd'hui que la Loi existe depuis maintenant huit ans, je crois qu'il n'y aurait pas d'inconvénients à le publier dans notre bulletin, dont un exemple est joint, et je te demande, par les présentes, ton autorisation à cet effet. J'espère que ta santé est bonne en dépit de tes multiples travaux. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que tout sexagénaire doit éviter de trop grands surcroîts de travail afin d'entrer triomphant dans l'Âge d'Or.
Avec mes cordiales amitiés,
Wheeler Dupont
30 novembre 1973,
Mon cher Wheeler,
C'est avec un vif intérêt que j'ai relu le mémoire que tu m'avais fait parvenir en juillet 1963 au sujet de l'établissement d'un régime universel de retraite. La lecture du document m'a rappelé bien des souvenirs agréables d'un projet qui me tenait à coeur et à la réalisation duquel ta contribution a été si précieuse. Je crois comme toi qu'il ne pourrait y avoir aucun inconvénient à publier - tu as donc non seulement mon autorisation mais l'expression de ma satisfaction à la pensée que tu le fera dans le mensuel «Bruidefon». Ton souci au sujet de ma santé indique bien l'amitié que tu m'as toujours portée.
Sincèrement,
Jean

Bruidefon, le journal des employés de la Régie des rentes du Québec. Vol.3, #1, mars 1974, p.3.
La genèse de la Caisse inspire parmi les plus belles pages de l’ouvrage où les héros ont pour nom André Marier, Claude Castonguay et Jacques Parizeau. Les jeunes technocrates figurent comme les Aramis, Athos et Porthos d’un D’Artagnan nommé Wheeler Dupont. Concepteur de la Caisse, ce dernier est au service de Sa Majesté la Révolution tranquille en lutte contre l’Albion fédéral.
Rudy Le Cours, « La Caisse de dépôt et placement ou la maîtrise du Québec », La Presse, 26 septembre 1989, p. 1.
Le père bourreau du travail
Le visage du père bourreau du travail : une parentalité privée
L’image du bon père de famille, véhiculée jusqu’à tout récemment, valorisait la capacité à pourvoir économiquement et matériellement aux besoins familiaux. Ainsi, la norme sociale, au moins jusqu’aux années 1960, justifiait l’absence des pères auprès de leur famille par la présence de ceux-ci sur le marché du travail.
« Quasiment anonyme dans la maison »
S’assurer du bien-être d’une nation requiert temps et énergie. Wheeler Dupont, à la maison, en profite pour se reposer ou pour préparer ses prochaines communications publiques. Selon ses enfants, son temps est principalement destiné à la lecture qui lui permet de s’évader, de se reposer, de se cultiver et de préparer ses éventuelles conférences. Bien qu’il se soit occupé de sa famille avec amour et bienveillance, il s’implique rarement dans les décisions concernant le quotidien des enfants et communique peu ses émotions auprès de ses proches.
Mon père disait souvent : « C’est important de ne pas perdre de temps »
Entrevue avec Chantal Dupont, MMV2012-0137
L'héritage du père
L'héritage du père
Il ne fait pas de doute que Wheeler Dupont a laissé derrière lui un héritage social important, autant par ses actions concrètes que par les exemples tirés de son comportement.
Auprès de ses concitoyennes et concitoyens, il a su mettre ses idées et son expertise en droit des assurances au profit de l’amélioration des conditions de vie. Il s’est dévoué pour que les Québécois et les Québécoises vieillissent sans tracas, que ce soit en participant à la création du premier régime de rentes de retraite public de la province ou encore en promouvant les regroupements de personnes âgées, comme les clubs de l’Âge d’Or. Par la passion avec laquelle il défendait ses idées, Wheeler Dupont peut véritablement être considéré comme un artisan social et une source d’inspiration.
Auprès de ses enfants, il transmet par son exemple des valeurs de générosité et de bienveillance. Par conséquent, de près ou de loin, les cinq enfants Dupont ont à leur tour intégré l’aide sociale dans leur vie quotidienne, chacun et chacune à leur façon.